
Heureux papa depuis maintenant quelques mois, mes nouvelles responsabilités m’ont fait prendre conscience d’une chose. Un bébé, c’est vraiment beaucoup de travail ! Quel rapport avec les jeux vidéos? Aucun, si ce n’est que les couches, les bibis, les pleurs à 3h du mat, ça laisse des traces. Traces qui ont certainement dû inspirer un triangle d’or de Nintendo à l’époque, à savoir Shigeru Miyamoto, Toshihiko Nakago et Takashi Tezuka, dans l’idée et la conception du gameplay de Yoshi’s Island. A travers cette petite chronique, j’espère vous faire découvrir (ou redécouvrir) cette véritable ode à la plateforme dans ce qu’elle a de plus feutrée, un jeu de plateforme qui atteint grâce au génie de Nintendo un paroxysme de créativité, que bien peu de softs ont su égaler jusque-là. Voyons pourquoi.
Super Mariole
Un peu d’histoire…
Eté 1995. La Playstation et la Saturn, déjà disponibles au Japon depuis la fin d’année 1994, débarquent sur les sols américain et européen durant l’été et à la rentrée. Hiroshi Yamauchi, le directeur de Nintendo à cette époque, ne croit pas au succès de ces consoles et pense que les joueurs sauront se montrer patients jusqu’à la sortie de la 64 bits de Nintendo, en restant fidèles à la marque. Pour lui, le support CD est trop contraignant pour un plaisir de jeu « immédiat » et ne semble pas correspondre aux attentes du public. Ainsi, confiant dans l’avenir de sa future console, la firme de Kyoto table une fois encore sur ce qu’elle sait faire de mieux pour faire patienter les joueurs: les jeux. De toute façon, Nintendo n’a pas le choix, Yamauchi sait que sa nouvelle console ne sera pas prête pour la fin de l’année 1995 et que l’attente risque encore d’être longue. Nous le savons maintenant, la Nintendo 64 ne sera présentée sous sa version définitive que lors du Shoshinkai du 25 novembre 1995, soit plus d’un an après.
Du 11 au 13 mai 1995 se tient le tout premier E3 de l’histoire des jeux vidéo. Outre la présentation du design de sa nouvelle console, c’est avec sa 16 bits que Nintendo fait sensation. Killer Instinct, Donkey Kong Country 2, Earthworm Jim 2, Castlevania Vampire Kiss, la version américaine de Chrono Trigger, Mortal Kombat 3 ne sont que quelques exemples du panel de jeux à sortir sur Super Nintendo. Autant le dire, un catalogue impressionnant de nouveautés, techniquement incroyables (on pense encore à Donkey Kong Country 2 ou bien Killer Instinct) démontrant qu’il n’est pas forcement nécessaire de s’acheter une Playstation ou une Saturn pour en prendre plein les mirettes! L’annonce de la conversion de Doom viendra encore enfoncer un peu plus le clou. Bref, Nintendo continue son offensive anti-32 bits, comme le relaie à cette époque si bien la presse spécialisée. C’est à ce moment que des publicités cultes apparaissent, telles que : «si vous voulez absolument pleurnicher dans quelques mois, exigez une 32 bits pour Noël», ou encore: «Le 25 décembre, si un cadeau ressemble à une 32 bits, ne riez pas, c’est peut-être le vôtre!». En sommes, Nintendo semble bien armé face à la concurrence pour faire patienter les joueurs jusqu’à la sortie de sa future console et ainsi s’assurer des ventes de fin d’année plus que raisonnables. A l’aide de son Super FX2, tout a été fait pour démontrer que la console à posséder pour Noël est LA Super Nintendo. Le catalogue de fin d’année est donc pour la firme amplement suffisant pour rassasier l’appétit des joueurs. En juin 1995, dans une interview donnée au magasine Consoles +, Miyamoto affirme même que «beaucoup de jeux utilisant le super FX2 vont sortir», sans toutefois donner plus de précisions. Quelques semaines après, la surprise est de taille: Nintendo annonce un jeu que personne n’avait vu venir jusque-là: Super Mario World 2 : Yoshi’s Island! Dévoilé par l’intermédiaire de la presse spécialisée en juillet 1995, la surprise ne s’arrêtera toutefois pas là. La date de sortie du jeu est prévue pour le 10 août 1995 au Japon (le 4 octobre aux Etats-Unis et le 6 octobre en Europe), soit à peine plus d’un mois après son annonce! Dans une interview publiée dans le magasine Player One de janvier 1996, Miyamoto explique même que cela fait cinq ans exactement que lui et son équipe travaillent sur le projet!
L’introduction
« Une cigogne traverse rapidement le ciel obscur. Dans son baluchon, elle transporte des jumeaux que leurs parents attendent avec impatience. Soudain, une ombre sort des nuages et se précipite sur la cigogne. « Grrrr! tonne-t-elle, ce bébé est à moi ! » S’emparant d’un des bébés, la créature disparaît aussi vite qu’elle est apparue. Passant inaperçu, le deuxième bébé tombe dans l’océan…
Le kidnappeur n’est autre que Kamek, le sorcier retors du royaume des Koopas. Ayant pressenti qu’un couple de nouveaux-nés nuirait au clan Koopa, il a mis sur pied une embuscade à l’aube. Ce n’est qu’après être arrivé au château qu’il réalise qu’il manque un bébé. Il distribue ses ordres à ses sbires : «Partez sur le champ. Retrouvez l’autre enfant! Ses parents ne doivent pas l’avoir, jamais!»
Partez sur le champ. Retrouvez l’autre enfant! Ses parents ne doivent pas l’avoir, jamais!
En fait, l’autre jumeau n’a pas sombré dans l’océan … il a atterri sur le dos d’un Yoshi ! Et, dans le même laps de temps, une carte est tombée !! Ce paradis est l’île de Yoshi. Sur celle-ci vivent toutes sortes de Yoshis relax. Mais cette calamité les jette dans un état proche de la panique. Tous crient et parlent en même temps, lorsque le bébé indique quelque chose. Oui ! Le bébé devine où se trouve son jumeau. Tous les Yoshis sont alors d’accord : il faut que le bébé atteigne sa destination et, pour cela, ils vont utiliser un système de relais. C’est au Yoshi vert que revient l’honneur de démarrer.»
Des sommets de plates-formes…
Après une petite intro fort sympathique, c’est sur les quelques mots ci-contre que débutait votre aventure. Il vous fallait dès lors traverser un ensemble de six mondes, chaque monde comprenant huit niveaux dans lesquels vous attendaient deux boss. Et pour les meilleurs d’entre vous, un niveau caché bien plus difficile que les autres se dévoilait dans les conditions que je décrirai plus bas. Autant le dire tout de suite, le challenge qui vous attend s’annonce relativement long et corsé avant de pouvoir délivrer bébé Luigi. Fort heureusement, vous pouvez compter sur une jouabilité sans faille! Un bouton pour sauter et pour planer légèrement dans les airs en le maintenant appuyé, un bouton pour avaler vos ennemis, et un bouton pour tirer… des œufs! Votre Yoshi a en effet la possibilité de pondre un œuf pour chaque ennemi avalé en appuyant sur le bas de la croix directionnelle. Vous pouvez ainsi cumuler jusqu’à six œufs qui vous suivront partout et dont vous aurez le loisir de vous servir pour détruire un ennemi, récupérer des objets en hauteur ou activer des interrupteurs. Bref, vous n’avez tout compte fait d’autre choix que de maîtriser l’art du «lancer d’œufs» pour espérer voir la fin du jeu.
L’autre élément indispensable au gameplay de Yoshi’s Island est bébé Mario. Tel un père protecteur, il vous faut absolument éviter de vous faire toucher sans quoi vous perdrez son contrôle.
Le caprice de Bébé Mario…
Enfermé dans une bulle protectrice, celui-ci s’envole et vous voilà dix secondes montre en main pour récupérer bébé avant que les sbires de l’affreux Kamek ne le kidnappent définitivement, vous faisant ainsi perdre la partie. Mais rassurez-vous, vous découvrirez assez vite qu’il vous est possible d’augmenter ce compteur jusqu’à 30 secondes. Pour cela il vous faut récupérer de petites étoiles cachées à divers endroits, dans un nuage que vous pouvez détruire avec un œuf? ou dans une grosse fleur rouge par exemple. Aussi, outre le fait d’avoir un peu plus de temps pour sauver bébé Mario, ce compteur sert à déterminer votre score lorsque vous franchirez le «cercle» de fin de niveau. Vous marquez un nombre de points équivalent au nombre de secondes qu’il vous reste, soit un maximum de 30 points. Il est aussi possible d’en avoir jusqu’à 100 mais pour les obtenir, il vous faut trouver les cinq fleurs et les vingt pièces rouges disséminées un peu partout, condition sine qua non pour débloquer le fameux niveau caché, ainsi qu’un bonus stage tant mérité.Sachez aussi qu’il n’existe aucune Warp zone, car même si le jeu est bourré de passages secrets, vous êtes malgré tout obligé de franchir tous les niveaux, un par un. Comme le disait AHL, «un stage de Yoshi’s Island vaut à lui tout seul n’importe quel autre jeu de plateformes», et on ne peut que lui donner raison, chaque niveau de Yoshi’s Island étant tellement ingénieux et bien pensé, qu’il serait bien dommage de passer à côté. Surtout qu’il s’agit du premier Mario dans lequel il n’y a pas de limite de temps pour arriver à la fin d’un niveau! Vous avez ainsi tout le loisir d’explorer ce monde dans ses moindres recoins.
Le gameplay est aussi d’une richesse insoupçonnée: transformations de Yoshi, power-up, étoiles transformant bébé Mario en super bébé Mario, œufs et techniques de rebond… sans compter un Level Design des plus efficaces. Les musiques et les bruitages sont confiés quant à eux au célèbre Koji Kondo (qui avait déjà œuvré dans les précédents Mario, mais également Zelda, Starfox ou Pilotwings). Ceux-ci accompagnent parfaitement l’action, et collent à merveille aux différents univers que vous traversez.
Comme le disait AHL, «un stage de Yoshi’s Island vaut à lui tout seul n’importe quel autre jeu de plateformes», et on ne peut que lui donner raison, chaque niveau de Yoshi’s Island étant tellement ingénieux et bien pensé, qu’il serait bien dommage de passer à côté.
Merci le super FX2 !
L’autre point fort de ce premier Yoshi’s Island est incontestablement sa beauté graphique. Bien sûr, le style enfantin crayonné peut ne pas plaire à tout le monde, mais il est bien difficile de ne pas reconnaître le travail exceptionnel qui a été fait pour chaque niveau. Et les quelques plaines, montagnes, grottes, et autres jungles ne sont que quelques exemples des mondes variés à explorer, chacun ayant de surcroît son identité propre animée d’une palette graphique on ne peut plus colorée. Bref, une véritable débauche d’effets visuels, rendue possible notamment grâce au fameux Super FX2. Développée par la société Britannique Argonaut Games PLC (déjà responsable du premier Super FX), cette puce permettait en effet de produire une «3D» beaucoup plus impressionnante que ce qui se trouvait déjà sur le marché. Plus concrètement, il ne s’agissait en réalité que de deux puces Super FX améliorées et regroupées en une seule. Cependant, aussi performante soit-elle, celle-ci restait limitée par le processeur de la Super Nintendo, beaucoup trop lent face au paquet d’informations que lui envoyait le Super FX2. Ceci explique notamment pourquoi Doom, Winter Gold et Yoshi’s Island furent les seuls jeux commercialisés avec (nota bene: Starfox 2, annulé au dernier moment par Nintendo souhaitant se concentrer exclusivement à sa 64 bits, devait également utiliser cette technologie).
La minute Supermariole
L’existence d’un soit disant Super Mario FX utilisant le Super FX2, et ayant donné par la suite naissance à Super Mario 64, fut une rumeur tenace qui n’a à ce jour jamais pu être prouvée. Il s’agirait simplement d’une mauvaise interprétation d’un propos de Shigeru Miyamoto qui, lors d’une interview avec Nintendo Power, avait émis l’idée de faire un Mario en 3D parallèlement au développement de Starfox. Pour mettre fin à la rumeur, Dylan Cuthbert, un des créateurs du Super FX, précisera que «Super Mario FX» n’était en fait qu’un nom de code pour le Super FX lui-même.
Les très nombreux éléments 3D sont le fruit de la puissance de calcul du Super FX2. Le jeu en devenait ainsi d’une fluidité exemplaire et ce, quelque soit la taille ou le nombre desprites présents à l’écran. Ajoutons à cela des effets spéciaux à gogo (effets de distorsion, zooms), et des couleurs chatoyantes qui flattaient immanquablement nos rétines tout au long de l’aventure.
Les boss, originaux, n’étaient pas non plus en reste, à l’image de Kamek, le vilain sorcier de cette histoire qui prendra à titre d’exemple un malin plaisir a transformer de petits ennemis en un gigantesque et terrible monstre faisant parfois plus de la moitié de l’écran! Sans parler du boss de fin, tellement grand que la vue traditionnelle de côté ne suffisait pas à l’afficher entièrement!!! Mais je ne vous en dis pas plus, préférant ne pas vous gâcher la surprise.
Une nouvelle mascotte, et de nouveaux supports
Jusque-là cantonné à un rôle secondaire dans Super Mario World, Yoshi se retrouve alors propulsé en tant que premier rôle et figure emblématique de Nintendo au même titre que Link, Mario ou Donkey Kong. Fier du succès, Nintendo n’hésita pas à se servir de nouveau du dinosaure vert (non, non, pas Denver) dans de nouveaux titres comme Yoshi Story, Yoshi Universal Gravitation, Yoshi Touch & Go. Sous titré Super Mario Advance 3, Yoshi’s Island ressortit même sur Gameboy Advance le 20 septembre 2002 au Japon. Et bien que la conversion soit très bonne, l’absence d’un super FX2 dans la petite cartouche se fait malheureusement bel et bien sentir, certains effets ayant même tout simplement disparu. Les musiques et les graphismes étaient également de moins bonne qualité. Notons aussi quelques autres différences dans les deux versions, qui se cantonnent toutefois à des détails n’ayant que peu d’incidences sur le jeu, comme une nouvelle traduction, des niveaux secrets déblocables en fin de partie uniquement, et des bruitages quelque peu remaniés. Le compteur, lorsque vous perdez le contrôle de bébé Mario s’écoule aussi plus lentement, la couleur des chaussures change selon les Yoshis etc.
Verdict, 18 ans après…
Il faut bien l’avouer, Yoshi’s Island touchait à la perfection dans tous les domaines, et il est bien difficile de trouver aujourd’hui encore quoi que ce soit à lui reprocher. Car malgré quelques bugs rigolos, des transformations comme le champignon ou l’arbre, et des sprites qui n’ont pu être conservés, le soft propose ce que la firme du plombier sait faire de meilleur. Un jeu d’une étonnante richesse, avec des idées et des surprises un peu partout, un challenge sans cesse renouvelé et un plaisir de jeu toujours aussi fort. Nintendo offrait ainsi aux joueurs et à la Super Nintendo un des plus beaux cadeaux qui soient, une synthèse d’un savoir-faire de plus de 10 ans, condensé dans une petite cartouche respirant l’amour du pixel et le travail bien fait.