Été 1996. Des coups de feu dans la nuit…Une vieille porte de manoir qui grince… Une vitre qui explose…Un doberman qui nous saute à la gorge… La peur. Le jeu vidéo vient de franchir un cap, sans qu’on s’en rende forcément compte. Alors réduit à un simple divertissement «passif» pour certains analystes, l’incroyable destin du jeu vidéo sera dès lors de marcher sur les plates-bandes du cinéma. Autopsie d’un chef d’oeuvre.
Ash
Master of Horror
Les jeux d’horreur sortis jusqu’ici misaient sur le gore et les détails horrifiques, faisant plutôt référence à Lovecraft (Alone in the Dark) ou aux films de la Hammer (Castlevania).
Lorsqu’ils voulaient «singer» le 7è art, c’était tout simplement des films entiers qui étaient pris pour modèle, à l’image de Splatterhouse, digne hommage à la saga Vendredi 13, ou bien encore le moins connu Clock Tower, sorti sur Super Famicom, directement calqué sur le chef d’oeuvre de Dario Argento : Phenomena.
L’origine du mal
Dès la genèse de Resident Evil, CAPCOM veut s’inspirer des films de Georges A.Romero, -considéré comme le créateur des Zombies au cinéma- tout en élargissant le bestiaire aux animaux et autres expériences génétiques ratées. L’idée de base est simple: situer l’action dans un manoir et dissimuler des pièges, des monstres, et parsemer l’aventure d’énigmes façon Maniac Mansion.
Mais l’envie profonde et le grand défi relevé par Capcom, est de réussir à faire ressentir au joueur un sentiment de peur. Mais comment y parvenir au juste ? Des premières tentatives, (Sweet Home en 1989 sur Famicom), montraient déjà le ton. Ce jeu, purement inconnu du public occidental, est une oeuvre assez originale qui plaçait le joueur dans un manoir infesté de monstres en tout genre… Toutefois, les combats restaient du pur RPG et seul l’aspect visuel et le contexte du jeu le rapprochaient du genre «horreur». À noter également qu’un film éponyme sortit simultanément dans les salles de cinéma japonaises, avec la même trame scénaristique que ce jeu. (Pour le devoir de mémoire, voici le seul lien à ma connaissance qui permette de regarder cette curiosité dans des conditions « décentes » :
Mikami avait tenté dès le départ une vue à la première personne, façon Doom, mais cela restait définitivement « plat » et peu effrayant.
Nooo !!! Don’t Gooo !!!
Le génial Shinji Mikami, lancé aux rênes de ce projet pharaonique, fait le constat que les jeux en vue de profil n’ont jamais réussi à créer une immersion suffisante tandis que la 3D n’est pas encore assez poussée visuellement pour être crédible et ne pas tomber dans le ridicule et le kitsch. Une vue à la troisième personne, à la manière d’un Tomb Raider sorti quelques temps plus tard, pouvait être intéressante… S. Mikami avait même tenté dès le départ une vue à la première personne, façon DOOM, mais cela restait définitivement « plat » et peu effrayant.
L’impasse se profile, et pourtant, le créateur de Goof Troop ou encore Aladdin dans sa version Super Famicom, établit un cahier des charges implacable, pour répondre aux impératifs, soit pas de vue de profil, ni subjective, ni de dos ; mais un point de vue éloigné sur le personnage principal et des ennemis difficiles à anticiper, pour créer l’effet de surprise… Le jeu requiert donc des plans fixes, et aussi de planquer les zombies dans des endroits vicieux. Ok, on y est, l’apparence prend forme. Le cadre cinématographique, plus enclin à proposer des scènes « fixes », servira d’exemple à suivre.
Le projet se profile et les idées viennent les unes après les autres. Si les zombies ne sont pas visibles, il faut pouvoir jouer sur les sons et autres bruits suspects pour « inquiéter » le joueur. On a dès lors deux sens qui sont mis à l’épreuve : la vue et l’ouïe, soit les mêmes sens soumis à rude épreuve avec les films d’épouvante… Jackpot ! La recette ne demande plus qu’à être insérée dans le four, thermostat 180°. Le toucher sera lui aussi mis à contribution dès la sortie des manettes Dual Shock et la réédition du 1er Resident Evil, prenant ainsi une avance considérable sur le cinéma. Pour le goût et l’odorat, on repassera, mais à moins de se mettre un steak brûlé dans la bouche et de jouer dans des toilettes publiques en période de gastro-entérites…
Resident Evil : le début d’une grande aventure.
Depuis sa sortie en août 1996, le succès ne se dément pas. Voyez plutôt. Deux ans plus tard, une suite est arrivée. Vous allez incarner cette fois la sœur du héros ou un policier, vous permettant de rejouer au jeu, sous un autre angle. Viennent ensuite le 3ᵉ, puis le 4ᵉ opus. Il est aussi attendu que PES ou FIFA pour les fans de football. Mais attention, toutes les versions ne sont pas disponibles sur tous les supports. Ainsi Code Veronica n’était disponible que sur la Dreamcast ou Resident Evil Zéro sur la GameCube. Les joueurs de PlayStation devront attendre 2002, pour rejouer à la version remastérisée du premier Opus. On arrive à 2009 pour que ce jeu puisse de nouveau être joué sur tous les supports. Nous sommes aujourd’hui à la onzième version de ce jeu culte, tous supports confondus. La dernière sortie date de 2017. Alors pour ne pas manquer de nouveaux épisodes de la série sur PS4, vous pouvez vous rendre sur le site jeuxvideo-live.com. Ce site est bien plus petit que les gros mastodontes du secteur, mais le traitement de l’information y est bien meilleure et pertinente. Alors espérons maintenant que la prochaine version sortira bien en 2021.Aïe Pad !
Deux éditeurs, ont compris dès le milieu des années 90 que l’on pouvait faire passer un message au joueur grâce aux pads. Nintendo, comme souvent, a été le précurseur en la matière en proposant d’intégrer une interaction « directe », via le Rumble Pack de la Nintendo64. Effet purement cosmétique certes, mais terriblement efficace (équivalent vidéo-ludique des subwoofer dans les salles de cinéma). Les explosions d’un Star Fox 64 (tristement rebaptisé Lylat Wars 64 en Europe pour des raisons de droits) n’en sont que plus impressionnantes. Mais le coup de maître viendra de KONAMI, qui, avec Metal Gear Solid (1998), aura une réflexion et une prise de recul proprement fabuleuses. Le joueur ne joue plus à un jeu, il est face à une intelligence (certes simulée, mais l’effet est saisissant), qui lui répond, et le fait réagir via les vibrations, ou bien encore via la carte mémoire insérée dans la console. Hideo Kojima renouvelera d’ailleurs régulièrement ses coups d’éclat en reconsidérant à chaque fois le jeu vidéo comme un média potentiellement supérieur aux longs métrages.
Massacre à la « tronche haineuse »
Bref, la terre a été retournée, les graines ont été plantées, ne reste plus qu’à poser les fondations : Un scénario de série Z, des zombies, des expériences scientifiques qui ont mal tourné, des agents spéciaux entraînés pour faire face à (presque) toutes les situations, des gros monstres, un twist final…et des dialogues épiques ! ^_^
Ne reste plus qu’à s’amuser avec la mise en scène et multiplier les effets de surprise. Le coup du doberman est aujourd’hui encore mythique, et pas un seul joueur n’aura pu rester de marbre à la première découverte de ce passage. Capcom se paiera même le luxe de lâcher vers les 2/3 du jeu une scène en vue subjective à travers les yeux d’un Hunter, qui fait aujourd’hui encore frémir. On se rappelle aussi avec émotion d’une séquence de Resident Evil 2 où lors d’une ouverture de porte en vue subjective, trois zombies surgissent à l’écran, laissant le joueur complètement impuissant (car il ne contrôle plus son personnage). Pour une immersion parfaite et un intérêt constant du joueur, CAPCOM intègre aussi de nombreux textes dans le jeu, souvent des récits de scientifiques décrivant les situations d’horreur qui ont précédé l’arrivée de l’équipe des S.T.A.R.S. Impossible de ne pas frémir en repensant à ce personnage qui décrit via moult détails sa lente transformation en zombie…
The return of the living-game
Projet alambiqué, Resident Evil 2, sorti fin Janvier 98, passe par une phase de conception non concluante, qui sera revue dans les grandes lignes, remplaçant au passage le personnage d’Elza Walker par Claire Redfield, passage de témoin avec le premier opus. À noter que pour combler les fans de la première heure et les férus de films de genre (hum !), CAPCOM demandera à Mister ROMERO himself de réaliser un spot télé pour la sortie de RE2. La reconnaissance ultime par le maître du genre.
La quête de Leon et Claire sera bien différente de celle de Chris et Jill. La ville de Raccon City est réduite à quelques ruelles et à son commissariat. Pour la visiter de façon plus poussée, il faut attendre le troisième opus, programmé à la base pour faire patienter les joueurs en attente de Code : Veronica. Bonne pioche cependant, car, s’il s’éloigne du côté survival des débuts de la série, il n’en demeure pas moins un véritable jeu d’action bien pensé et énergique.
En définitive, si les 2 suites sorties sur PS sont d’un très bon niveau, et les ventes à la hauteur (le 2e reste le plus vendu de la série et un des plus plébiscités par les fans), ils ne transcendent pas le genre ni ne dépassent les sensations du premier, définitivement entré dans la légende. La GameCube en accueillera d’ailleurs une relecture au début des années 2000, rebaptisée «Rebirth» au japon. L’occasion de constater que malgré la sortie de 3 séquelles, c’est bien l’épisode originel qui restait le plus passionnant à parcourir.
L’avis de Keyser
Resident Evil premier du nom a posé les bases d’une série mythique qui donna ses lettres de noblesse au «survival horror». Au-delà des conspirations d’Umbrella et des expériences scientifiques foireuses qui posent les bases du scénario, je garde en mémoire le plaisir sadique que procure le fait de «dézinguer» du zombie. Et je n’oublierai jamais cette ambiance oppressante et même parfois flippante que provoque le jeu manette en main ! Je me revois encore jouer avec mes potes dans le noir complet, fusil à pompe… heu pardon… pad en main, pour éradiquer l’envahisseur ! Souvent imité mais jamais égalé, cette petite perle restera dans les annales du jeu vidéo.
L’avis de Odallem
Pour ma part, il est bien difficile aujourd’hui d’être encore émerveillé par ce jeu. Techniquement, le soft à plutôt mal vieilli. Les décors en 2D pré-calculés restent potables, mais la raideur des personnages et plus encore de la jouabilité rendent la pilule difficile à avaler. Malgré tout, l’ambiance générale de ce jeu demeure une véritable source d’adrénaline, pour peu que vous vous éclairiez encore au chandelier»…
Même si Resident Evil ne peut pas être considéré comme ayant créé le genre (cette reconnaissance revient souvent à Alone in the Dark, bien que là aussi tout cela reste très relatif), il semble pourtant évident que c’est bel et bien LE jeu de Shinji Mikami qui a posé les fondations du « survival » moderne. Certains concurrents sérieux viendront se frotter au mythe dès 1999, comme le démentiel Silent Hill, ou plus récemment Dead Space. Mais, à la manière d’un DOOM, on parle désormais de Resident-like ou de «survival» pour décrire un jeu de la même trempe. Signe que CAPCOM a lancé un genre à part entière, un genre qui ne semble toujours pas s’être tari 15 ans après…